5630

L’ours et le gorille, quadrupèdes placides, sont aussi des bipèdes agressifs comme tout le monde.

 

Les élèves de 4^e de la classe de Suzie doivent choisir chacun un livre sur une liste trouvée sur Internet par leur professeure de français, laquelle opère cependant parmi les titres proposés un tri sévère. Écoutons-la : « – Les Trois mousquetaires, moi, je vous le dis, j’ai arrêté au bout au dix pages… Jane Eyre, oh là là, c’est longuet-longuet… Le Dernier jour d’un condamné, personnellement, j’ai détesté ce bouquin… Le Vieil homme et la mer, ah oui, encore un de ces trucs genre Moby Dick, merci bien… Fahrenheit 451, je préfère vous prévenir, c’est très très ennuyeux… ». À la décharge de cette professeure, précisons qu’elle a honnêtement confié peu de temps auparavant à ses élèves qu’elle n’aimait pas lire : « – Ça me fait suer. »

 

Ne sera plus bredouille celui qui s’avise que son lasso est la corde parfaite pour se pendre.

5629

J’enfouis ma tête sous mon oreiller pour m’abriter de la lumière et du bruit. Sans grand succès. Cette méthode a fait ses preuves, pourtant, mais, pour être absolument efficace et que s’éteignent enfin les lumières et les bruits, elle requiert une aide extérieure. Ne se trouvera-t-il donc personne pour me prêter main forte ?

 

Le fourre-tout en peau d’ornithorynque est vendu avec son bric-à-brac.

 

Il ne sert à rien de méditer les leçons de l’histoire si tu ne travailles pas aussi un peu ta géographie et que tu continues à croire que le pays voisin t’appartient.

[Le 7 février, venez partager un dîner avec Volodine et moi ? Je crois qu’il y aura du petit salé aux lentilles. Renseignements et réservation : 06 08 43 50 53 ou contact@mille-feuilles.fr ]

5628

Le courant soudain s’accélère, entraînant la fillette, puis le couloir se brise en cascade dans l’escalier.

 

Tout se modifie très vite dans l’enfance, notre corps sans cesse, notre appréhension du monde, notre conscience et notre maîtrise des choses. C’est pourtant une époque dans laquelle nous nous transportons volontiers plus tard par le souvenir comme en un temps arrêté, un lieu fixe de la mémoire. Étrange paradoxe puisque c’est bien plutôt devenus adultes que nous nous encroûtons.

 

Qui, le premier, de la pomme ou du ver ?

5627

Ce fut d’abord un mouvement imperceptible, la pointe du pied puis le talon alternativement se décollant du socle, puis le balancement s’accéléra, devint plus ample et enfin la statue bascula et se brisa au sol, ayant réussi à se déboulonner elle-même, refusant de rester plus longtemps une figure glorieuse de cette humanité déchue.

 

Dépourvu de téléphone portable, je ne borne nulle part. Je suis d’un coup innocenté de tous les crimes et même des plus légères fautes. Un saint homme.

 

Les hommes vieillissent mieux que les femmes. Ils meurent.

 

5626

Mon affable voisine, extrêmement volubile, ne me fait grâce d’aucun détail de sa vie lorsque nous nous croisons sur notre bout de trottoir. Impossible de couper court, la politesse m’enjoint de prendre mon mal en patience. Et, ce matin, j’ai bien dû convenir que seule cette logorrhée était à même de rendre compte sans en rien perdre de la diarrhée qui, toute la nuit, l’a retenue prisonnière de ses cabinets.

 

Tac, tac, tac, tac, le kangourou me prend tous mes pions et va à dame.

 

Mais la domination masculine, c’est aussi Quasimodo éperdu sondant depuis la hauteur des tours de Notre-Dame cette distance vertigineuse qui le sépare irréductiblement d’Esmeralda, la svelte gitane qui danse en bas sur le parvis.

5625

Fut un temps aussi où l’écrivain négligé par son époque plaçait ses espoirs dans les générations à venir. Celles-ci, plus éveillées, plus évoluées, intellectuellement moins bornées, sauraient le lire enfin, et s’ensuivrait l’adulation qui lui semblait due mais que la foule obtuse lui refusait de son vivant.

 

Mais comment jouir et se réjouir de ce triomphe posthume qui se dérobait si cruellement à l’appréhension voluptueuse de la vanité ? C’est en pensant à tout cela que je me suis rendu hier dans une maternité afin de recevoir avant qu’il ne soit trop tard les éloges des nouveau-nés porteurs de cet avenir glorieux, doués à n’en pas douter d’un discernement supérieur.

 

Mais en fait de hourras pour ma personne et de commentaires éclairés sur mon œuvre obscure, comme je déambulais avantageusement entre les berceaux de la pouponnière, je n’ai recueilli que des hurlements et des glapissements atroces tandis que se révulsaient à ma vue des petites figures idiotes, morveuses et cramoisies ! J’augure mal, j’augure très mal de l’avenir de la littérature.

 

5624

Jadis, la publication de son livre arrachait l’auteur à la solitude de son cabinet d’écriture et le précipitait dans un monde bruissant et animé. Notre farouche anachorète souffrait de cette inévitable et harassante sociabilisation. Mais les choses par bonheur se sont arrangées et la publication est maintenant pour lui l’occasion de poursuivre à une plus vaste échelle cette aventure solitaire si féconde en repoussant les bornes de sa déréliction jusqu’aux confins des territoires connus.

 

Ou bien l’éléphant n’a pas de trompe, et c’est un boa qui est en train d’avaler tout rond ce mastodonte au museau plat ? Avons-nous seulement pris le temps d’étudier cette hypothèse ?

 

Je me suis assis sur la table et j’ai retourné ma tasse pleine sur ma tête… Je n’irai plus dans les cafés où je n’ai pas mes habitudes. C’est trop risqué.

5623

Toujours les publicités nous montrent la voiture à vendre roulant dans un décor de rêve, des steppes désertiques, des plaines infinies, des paysages de neige ou de montagne à couper le souffle où seul détone et détonne le bolide d’acier chromé que nous désirons alors passionnément abolir. Publicités subliminales fort réussies en somme pour les casses automobiles.

 

Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. Le caca d’oie domine.

 

Je montrais pourtant de belles et rares dispositions. Assiduité, ténacité, résistance, motivation, appétence, j’aurais pu faire un alcoolique du meilleur tonneau. Pourquoi faut-il toujours que je renonce en si bon chemin à ce que j’entreprends ?

 

5622

Je commence toujours par ponctuer ma page blanche. À intervalles réguliers, je dispose des virgules, des points – d’exclamation et d’interrogation y compris –, quelques tirets, comme on voit (et quelques paires de parenthèses). C’est le plus gros du travail, qui se rapproche en effet de la composition musicale. Ensuite, il ne me reste plus qu’à remplir les blancs avec des mots. Du coloriage. Un jeu d’enfant.

 

Depuis le poste fixe où s’accomplit ta routine féconde et solitaire, tu regardes s’entredévorer ceux qui ont préféré mordre dans la vie.

 

Va donc voir là-bas si j’y suis ! me lança-t-il. Or il y était, effectivement, en train de se faire cuire un œuf.

5621

Quand on pense que la plume fut encore pour l’homme une occasion de s’asseoir !

 

La douleur a son cri. L’admiration, son cri. La colère, son cri. La joie, son cri. L’ennui, son bâillement qui ne fait de ces cris qu’une bouchée.

 

Mais partout où je ne suis ni gris ni chauve, je reste un beau brun ténébreux.

 

5620

C’est le seul reproche que je pourrais lui faire : son cul est trop plat. Tout le reste en elle me plait, mais son cul trop plat me désespère. Le gaillard que je suis trouverait plus de contentement, plus de plaisir et de volupté si elle avait le cul bien rebondi, la bouteille.

 

Elles n’échangent pas un mot, assises à cette table de café, l’une et l’autre obnubilées par son téléphone. Leur conversation amicale pourra reprendre quand elles se seront séparées, par sms.

 

Nous savons désormais pourquoi nous mourrons : notre rôle dans la série va être confié à un plus jeune et il n’y pas d’autre façon de justifier cette substitution que l’accident ou la maladie qui nous emporte.

5619

Un tigre s’est échappé de sa cage ! Je fais un bond en arrière. L’orthodontiste vient de retirer à Agathe son appareil dentaire.

 

La poule, c’est la calomnier,  ne passe pas tout son temps à picorer, elle coud, elle poinçonne, elle tatoue, elle télégraphie, un linceul pour le grain, un aller sans retour pour le grain, un aigle sur le grain, la nouvelle de sa mort au grain.

 

Je tends un ticket de manège au contrôleur du train à la place du billet qu’il attend et, comme il s’apprête à protester : – Dois-je vous rappeler que la Terre est ronde ?

[Parution du seizième volume de ce journal, L’Autofictif sans égards pour le lecteur sensible. Toute honte bue, j’invite malgré tout celui-ci à acquérir celui-là afin de soutenir l’inlassable fidélité de mon éditeur, L’Arbre vengeur, aussi assidu que moi depuis 2009. Les temps sont durs pour la petite édition, et nous aimerions pourtant continuer. À défaut d’une librairie amie dans vos alentours, il est possible de commander le livre sur le site de l’éditeur.]

5618

L’annonce sur cette page de la parution du nouveau volume de L’Autofictif a produit l’effet escompté puisqu’elle a généré un total de deux ventes sur le site de l’éditeur !

 

Deux ventes, pas une de moins ! Que soient donc remerciés ces deux lecteurs grâce auxquels je vais pouvoir mener grande vie ces douze prochaines secondes. Ça va flamber ! Toute une allumette !

 

Bien sûr, je nourris quelques remords. N’aurais-je pas fait les poches de ces deux naïfs, suscité chez eux une pulsion d’achat incoercible ? Un tel grégarisme ne saurait être spontané, il a fallu tout ce battage médiatique et ce matraquage publicitaire pour que ces deux-là se ruent comme un seul homme sur la marchandise. Puis je balaye mes scrupules. Bizness is bizness.

5617

Il entre dans la librairie, se dirige droit vers la table où s’empilent les succès du moment, y prend sans hésiter les livres de Foenkinos, Tesson et Teulé et gagne aussitôt la caisse. Je lui ai trouvé un air un peu hagard, somnambulique même. Ne le jugeons pas trop sévèrement, son discernement était de toute évidence aboli au moment des faits.

 

– Résidu de fausse couche !

– Tête de gland !

Il a suffi de les exciter l’un contre l’autre, et voici vos œufs brouillés.

 

Je vis de la vente de flocons, conditionnés en sachets de 500g. Ça ne marche pas fort. Certains jours, allez savoir pourquoi, tout le monde s’engoue pour le produit et la marchandise s’écoule sans discontinuer jusqu’au soir. Mais cela reste rare et je reste de longs mois avec tous mes sacs sur les bras.

[Amis anglophones, je me réjouis de la publication aux Presses Universitaires de Yale d’une anthologie de mes textes parus chez Fata Morgana, éditée et préfacée par Daniel Medin, dans une traduction de Daniel Levin Becker et sous le titre Museum visits.]

 

5616

On va chez toi ou chez moi ? me demanda-t-elle. Mais c’était ma copine Annie, nous avions 12 ans, et c’était pour préparer notre exposé de sciences naturelles sur l’appareil reproducteur des arachnides.

 

Tandis que nous nous décomposons horriblement dans la terre ou brûlons dans les flammes du crématorium, le lapin mijote à feu doux avec des cuisses de clémentines et des citrons confits au creux d’une cocotte rouge en fonte émaillée. C’est tout ce que je peux dire en faveur de notre alimentation carnée.

 

La mèche se consume, la flamme progresse sur le fil d’encre que je déroule imprudemment derrière moi depuis tant d’années.

5615

Mes poings ne m’ont jamais servi. Je ne sais même plus où ils sont.

 

Les bribes de conversation que nous saisissons en croisant des gens dans la rue nous confirment le plus souvent que le répertoire humain est bien pauvre et que chacun ne fait que balancer à son tour les vieilles répliques du rôle avec une conviction qui l’honore, sans doute, mais lasse déjà le public pourtant furtif constitué par le passant qui les surprend. Hier, pourtant, j’ai entendu ces quelques mots qu’un type adressait à sa compagne : « … mangé la queue d’un écureuil… » et, pour une fois, j’aurais volontiers pris une place pour la pièce.

 

Tantôt le sein gonfle la fesse, tantôt la fesse enfle le sein, toujours le sablier garde la taille fine.

 

5614

Mon patrimoine génétique devrait faire de moi un fringant centenaire moins inquiet de la grippe saisonnière que du mildiou menaçant le millésime, résistance qui me désole et m’accable car c’est dire aussi comme je vais devoir attendre longtemps encore le formidable succès posthume qui m’est promis…

 

Toujours l’azur manque pour que le ciel descende jusqu’au sol. Il s’en faut pourtant de bien peu. La solution serait peut-être qu’il se déploie un jour sur deux plutôt du bas vers le haut ?

 

La greffe d’un cœur de porc a été pratiquée avec succès sur un patient humain. L’histoire ne dit pas si, avec ce palpitant organe, fut transplanté tout l’amour qu’il contenait pour une jolie truie aux soies roses, au groin luisant, prénommée Piggy, ni en ce cas ce qu’il advint de cette idylle.

5613

Si le condamné n’a pas un mot pour la famille de sa victime au cours du procès, sa froideur ajoute à son abjection. S’il implore son pardon, nul ne croit à sa sincérité et son hypocrisie ajoute à son abjection. Sa marge de manœuvre est donc mince. Il ne lui reste en somme d’autre solution que de déclarer je n’ai pas tué votre père et d’ailleurs le voici en le désignant du doigt, assis bien vivant dans la salle du tribunal.

 

Je suis à chaque instant l’imposteur qui usurpe l’identité de celui que j’étais et, coiffé d’une perruque faite de ses cheveux perdus, se targue d’être l’auteur de ses travaux, le médaillé de ses victoires.

 

Les calculs abscons des astronomes ou les explorations risquées des navigateurs étaient bien inutiles. La rotondité de la Terre est suffisamment prouvée par la cambrure du dauphin dont nous savons que le sonar sagace cartographie tous les reliefs.

 

5612

Il te reste le regret térébrant de l’idée clairement conçue puis oubliée avant d’être notée. Mais, en plus de cela, à l’endroit où elle s’était formée, dans ce trou, s’abîme désormais ta pensée et tu demeureras ce demeuré tant que ton cerveau lésé n’aura pas cicatrisé. Trois mois, selon les neurologues les plus optimistes.

 

Le cheval ne galoperait pas aussi vite si, arraché à son immobilité, il n’avait tant hâte de s’y rétablir afin que se confondent en lui – en son seul tenant, et formant le bloc cheval – le départ et l’arrivée.

 

J’ai installé 300 000 chiens dans mes chenils et mis au point à leur intention une méthode d’apprentissage de l’alphabet. Enfin, je pourrai compter bientôt sur une belle meute de lecteurs fidèles !

 

5611

N’est plus que verre pilé, ce matin, le carreau de ma fenêtre. Ou serait-ce du givre partout et aussi loin que porte mon regard derrière la vitre intacte ? Comment savoir ?

 

Emma Bovary aurait récemment déposé plainte contre Flaubert pour des comportements inappropriés durant l’écriture de son roman. L’écrivain aurait même abusé de son héroïne dans certains passages du livre prudemment supprimés par la suite. Ce serait également lui, en réalité, qui se serait enfermé en sa compagnie dans le fameux fiacre ! Les faits semblent difficiles à prouver aujourd’hui et Flaubert aura de toute façon beau jeu de prétendre qu’ils sont prescrits. Il n’en reste pas moins que cette plainte pourrait bien être la première d’une longue série. On murmure les noms d’Anna Karénine, d’Esmeralda et même de la Juliette de Shakespeare… La parole se libère, il n’est que temps. Et je connais un certain nombre d’écrivains contemporains qui ne doivent pas en mener large.

 

On oublie tout, crois-en ma vieille expérience.

5610

Coordinateur d’intimité, cette fonction nouvellement créée consiste à veiller sur le bien-être des comédiens lors des tournages de scènes de sexe, le consentement de chacun à tous les gestes et situations réclamés par le scénario ou le réalisateur, le respect des pudeurs et des limites posées d’emblée par les protagonistes.

 

Quel beau métier ! Mais n’est-il pas regrettable de réserver ce soin aux seuls plateaux de cinéma ? Tant de viols conjugaux sont à déplorer, tant d’injonctions abusives à la sexualité dans les ménages !

 

Un coordinateur d’intimité veillera donc dorénavant sur les saines relations de chaque couple, depuis le premier soir jusqu’à l’extinction des feux. On l’installera dans une petite chambre mitoyenne, pourvue d’un lit simple. Il prendra sa douche et l’ascenseur en compagnie des amants afin de pouvoir intervenir à tout moment. On pourra le sonner aussi depuis la cuisine. De manière générale, il ne se tiendra jamais à plus de dix mètres de ses employeurs.

5609

La littérature n’aurait-elle été pour moi qu’un alibi pour ne jamais travailler ? Peut-être bien… C’est dire ses prodigieux pouvoirs.

 

Si la vérité n’était que le contraire du mensonge… Elle est surtout le contraire du songe.

 

Cette foule qui se masse place Saint-Pierre à chaque fois que je sors sur le balcon fumer ma clope !

5608

Popularisé durant la période d’Edo (1603-1868), au Japon, le jeu des Cent poètes consistait à étaler sur le sol autant de cartes ornée chacune d’un portrait et de quelques vers d’un poète fameux. Un orateur déclamait les vers qui précédaient ceux que l’on pouvait y lire et les joueurs, pour remporter la carte, devaient trouver ceux qui suivaient et quel en était l’auteur.

 

J’ai adapté ce jeu en substituant aux figures nippones originales cent poètes français et j’en ai fait éditer 50 000 boîtes à l’approche de Noël. Je me frottais les mains. Quelle fine intuition, ma fortune était faite !

 

Le distributeur m’apprend ce matin que nous n’avons rien vendu, pas une boîte… Plus personne en France ne sait s’amuser aujourd’hui.

 

5607

C’est chaque jour une longue et fastidieuse séance de maquillage. Du fard sur mon nez rouge, du blush sur mes joues blêmes, un baume éclaircissant sur mes lèvres violettes. Puis il faut encore ajuster la perruque sur mon grand front blanc, lisser sous ce postiche les deux toupets roux qui jaillissent de chaque côté de mon crâne. Croyez-moi, ce n’est pas facile d’être né avec une vraie tête de clown.

 

Exposition de porcelaines chinoises de la dynastie Qing. La dame : – C’est beau, tous ces petits pots !

 

Il est bien possible que j’aie vidé mon sac. Et pourtant, de celui-ci, besace de cuir vintage à bandoulière, je devrais encore pouvoir tirer quelque chose.

5606

Après le progrès incontestable que constituèrent les roulettes, on aurait pu penser que la valise allait poursuivre son évolution selon le schéma classique : valise à vapeur, valise à essence, valise électrique. Et puis non. C’est regrettable. Le sédentaire que je suis aurait pu acquérir bientôt la valise autonome qui n’aurait pas eu besoin de moi pour voyager.

 

Il se prétend agent d’assurances à Roanne, mais c’est un gros mythomane car je suis presque sûr de l’avoir vu tenir le premier rôle dans plusieurs blockbusters américains.

 

(Voici même le malheureux prisonnier de la société de consommation attelé à sa cage de fer, le caddie de supermarché.)

5605

Nous avons la sagesse et la décence de ne pas prétendre que l’homme couche au Ritz et déjeune à la Tour d’argent, mais nous n’hésitons pas à affirmer qu’il va sur la lune !

 

Une chaise-longue. Le chapeau sur le nez. À l’ombre des jeunes filles en fleurs, je fais désormais la sieste.

 

Parler debout, pourquoi serait-ce brûler sa vie ? On voit pourtant plein de vieux sénateurs le faire à la tribune.

5604

Trompée par la douceur de la température, une primevère mauve risque une tête dans mon jardin. J’essaie de la dissuader : Que fais-tu ? Es-tu folle ? Le rude hiver reste à venir ! Mais trop tard.

 

Peut-être serait-il honnête de prévenir le chat que nous avons déjà exploré le monde et tout découvert ?

 

J’ai toujours l’impression d’interrompre trop tôt mon geste quand je soulève une casserole et que celle-ci m’invitait bel et bien à me coiffer d’elle.

  

5603

Le sommeil auquel le corps ne s’est pas abandonné pendant la nuit vient réclamer à l’homme son dû dans la journée. Et ses exigences ont augmenté – il prend son âme.

 

Plutôt que de tirer sur ce lapin, va donc à la foire crever des ballons avec tes petits plombs : tu l’auras, ta peluche !

 

Mon navenir a coulé par le fond.

 

5602

Il coula du bronze dans le vide créé par son absence et obtint d’elle la plus belle des statues. Gigantesque et indéboulonnable, de surcroît.

 

quadrangulaire et nocturne

qu’est le hibou sinon l’urne

où résonne son cri de fantôme

 

Le père mange le caviar à la louche, ce qui oblige la mère à servir au reste de la famille la soupe d’orties avec l’écumoire.

5601

C’était bien la peine, ces longues études en génétique, l’argent dépensé en expérimentions innombrables : son chien à plumes s’ébroue comme avant en sortant de l’eau et mouille pareillement ses pantalons !

 

Le cœur est une cible décentrée – raison pour laquelle sans doute la flèche de Cupidon se plante si souvent à côté.

 

Mais quel soulagement… l’œuvre est enfin derrière moi !

[Laetitia Bianchi qui fut entre autres cofondatrice du regretté magazine Le Tigre et dont l’élégante signature graphique est sans pareille vient de créer les Editions Mexico (trois beaux livres déjà à son catalogue). Elle publiera une nouvelle édition augmentée et superbe de mes Chiens écrasés, brèves écrites initialement pour le Tigre et qui parurent en volume (désormais introuvable) en 2011, aux petites éditions du journal. Le livre sortira au mois de mars. Il est dès à présent possible de le commander par souscription (il faut dérouler la page, colonne de droite) afin de recevoir un exemplaire signé dès la publication. Puis cela favorisera l’essor de cette jeune maison audacieuse, merci !]

5600

Il écrit en commençant ses livres par la fin et en mettant un mot derrière l’autre. Il est le premier surpris par ce qu’il découvre quand il arrive au début.

 

On apprend à l’enfant, si bien disposé devant la vie, tout ce qu’il faut savoir pour devenir un adulte décevant.

 

J’ai récemment développé une passion folle et échevelée pour l’ataraxie.