dimanche 30 juin 2024

5781

Rougissante et toute gênée, cette jolie nonne aux longues jambes, aux jambes si longues que l’austère habit de bure qui cache les pieds jaunes de ses sœurs n’en est pas moins sur elle une très coquine mini-jupe. 

 

Le passé demeure, c’est le présent qui ne prend pas.

 

Ta patate entièrement pelée, persévère pourtant : la prochaine épluchure est une chips.

samedi 29 juin 2024

5780

Notre main gauche et notre droite fébrilement se cherchent partout, aucune autre prise ne les satisfait, de l’eau, du sable, du vent, toute notre vie elles se poursuivent pour se croiser enfin quand cesse toute cette agitation, sur le ventre du mort.

 

La pluie que boit le grand ne désaltérera pas le petit. Ni ne le noiera, se justifie le grand.

 

Mais qui est le plus végétarien de nous deux ? Toi, qui déchiquètes à belles dents ton flan de courgette ? Ou moi, qui broute mon steak ?

 

vendredi 28 juin 2024

5779

Je dois me faire couper mes cheveux et tondre ma pelouse. N’y aurait-il pas moyen de faire une pierre deux coups ?

 

À la fin du film, le méchant meurt. Puis les lumières se rallument, les spectateurs quittent la salle, et le héros meurt à son tour.

 

Puis il fallut braquer sur le sommet du Kilimandjaro un canon à neiges éternelles.

 

jeudi 27 juin 2024

5778

Non seulement le bob te protège du soleil, mais il éteint aussi l'étincelle d’intelligence qui dansait sur ton front.

 

Non seulement le genou est chauve, mais il n’est pas rare qu’il soit affligé en plus d’un double-menton.

 

Il est reproché aux hommes de prendre beaucoup de place dans les transports en se tenant assis jambes écartées (manspreading) tandis que les femmes croisent modestement les leurs. Et c’est un fait. Rappelons toutefois qu’avant de croiser les siennes, s’il ne veut pas broyer douloureusement ses couilles entre ses cuisses, l’homme doit plonger la main dans son caleçon pour remonter le paquet. Or nous pouvons être certain qu’il se trouverait encore de véhémentes observatrices pour mésinterpréter ce simple geste de survie.

mercredi 26 juin 2024

5777

Je reconnais le vigile du Monoprix qui se promène dans le centre-ville. Il regarde à droite, à gauche, il se retourne sur les passants, il a l’œil partout. Moi, c’est pareil, je prends des notes tout le temps.

 

– Tu avais raison.

– Non, j’avais tort, c’est toi qui avais raison !

Et les voilà fâchés de nouveau.

 

Ce manche se clipse indifféremment à ma raquette, à ma casserole et à ma guitare, mais je réserve son usage à mon balai à chiottes.

 

[Dernière étape de la saison pour le Marathon autofictif de Christophe Brault, ce soir à 20 h à la Maison de la poésie.]

mardi 25 juin 2024

5776

Derrière cette palissade, il y a un terrain vague. On y trouve parfois une montagne, parfois la mer.

 

Moi, j’écrivais aussi pour le rhinocéros blanc du Nord, le phoque moine des Caraïbes et l’ara de Spix. Mais décidément, tous mes lecteurs disparaissent.

 

On ne lui connaît que de larges poutres et pourtant, c’est indéniable, la charpente régulièrement fait craquer ses phalanges.

lundi 24 juin 2024

5775

Je vois enfin s’ouvrir devant moi ce temps merveilleux auquel j’aspire depuis mon plus jeune âge, une vieillesse grincheuse et misanthropique entièrement vouée à la déploration, au ricanement et aux anathèmes. Ça se mérite. Tout le monde n’arrive pas jusque-là.

 

Trop frisé pour être funambule.

 

Tapis de mousses et de fleurettes. Un oiseau jaune et bleu chante sur une branche basse. Que n’existe-t-il des pantoufles de jardin !

dimanche 23 juin 2024

5774

Non seulement la plupart d’entre nous ne possédons aucun des savoirs techniques sur lesquels notre civilisation repose (à poings fermés), mais nous sommes même incapables d’allumer un feu avec deux pierres ou deux bâtons comme le plus empoté des Cro-Magnon. Notre incompétence aussi a fait de remarquables progrès.

 

Tout ce verre jeté par les fenêtres !

 

Ma main se glisse avec l’enveloppe dans la fente de la boîte aux lettres. Mais à quoi bon écrire si j’y vais aussi ?

samedi 22 juin 2024

5773

Certains aiment les haricots. D’autres les détestent. Ne seraient-ce pas là des passions excessives concernant une aussi fade légumineuse ? Vidons tranquillement notre assiette et restons-en là avec elle, voulez-vous.

 

Mieux vaut pas non plus baiser sur la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

 

Je frémis toujours quand la louche plonge dans le potage. Que peut-elle remonter d’autre, en effet, que le globe oculaire d’un monstre des profondeurs ? Un sein, suggérait, mieux luné, Malcom de Chazal. Pauvres poètes que nous sommes : encore une patate.

vendredi 21 juin 2024

5772

Salon désert. Trois fauteuils et un canapé vides autour d’une table basse. Quelle paix ! On se comprend en silence. Il n’y a pas que la nature sauvage qui se passe très bien de la présence humaine.

 

Il a le bras long et la main baladeuse : il chatouille la sénatrice.

 

Une enfance écrite à la craie sur des toits d’ardoise lointains. Il a plu. J’ai vécu.

jeudi 20 juin 2024

5771

Cette injonction si discriminante pour les femmes à s’épiler les jambes ou la moustache pourra être combattue dès l’enfance dans nos représentations grâce à cette invention dont je suis fier et qui réjouira fillettes et garçonnets : la poupée en peluche.

 

Mois de mai et juin si pluvieux que j’ai commencé à empoissonner les flaques dans mon jardin. C’est que vont se faire rares les lapins dont je déjeunais.

 

Par quel mystère, s’il faut en croire l’étiquette au dos de la barquette, se trouverait-il de possible traces de crustacé dans cet houmous ? Affecterait-on des crabes au broyage des pois chiches ?

mercredi 19 juin 2024

5770

Ne pas se laisser aller physiquement, tentation fréquente à mon âge. Aussi ai-je décidé de reprendre progressivement une activité sportive. Je suis un peu rouillé, bien sûr, mais j’espère tout de même conduire mon équipe jusqu’à la finale de l’Euro de football.

 

J’enchaînerai avec Wimbledon, si toutefois les organisateurs acceptent de programmer mes matchs après l’arrivée des étapes du Tour de France sur lequel je serai aligné également. Puis il sera temps de rejoindre le Stade de France pour rafler quelques médailles aux Jeux Olympiques. L’US Open arrivera très vite ensuite. Ça devrait se jouer entre Sinner, Alcaraz et moi.

 

Petit décrassage estival mais, dès la rentrée, j’ai bien l’intention de m’y remettre sérieusement.

 

mardi 18 juin 2024

5769

Comme c’est curieux, ce matin, toutes les bougies pleurent…

 

Ce petit zigue de 12 ans et 80 livres, grâce à des ruses et des stratégies fines élaborées sur la durée, parvient certes à se faire passer aujourd’hui pour un sexagénaire de 80 kilos, mais on se demande bien dans quel but il se donne tout ce mal.

 

(Je veux un train électrique.)

lundi 17 juin 2024

5768

Dernier jour avant d’être vieux. Je dois en profiter à fond. Gravir les cinq sommets du monde, dompter un cheval fougueux, apprendre le mandarin, descendre dans la fosse des Mariannes, séduire une belle inconnue. Car dès demain, je ne pourrai plus faire toutes ces choses.

 

le temps passe

on le suit

à la trace

 

Mais je ne comprends décidément pas pourquoi l’on s’acharne à lui injecter tous ces médicaments alors qu’il semble évident qu’un simple traitement contre l’anémie guérirait la souris blanche.

dimanche 16 juin 2024

5767

Pousse désormais la porte que tu ouvrais en tirant, j’ai changé mon regard sur les choses.

 

La greffe n’a pas pris. Rejetée même à dix mètres du cheval avec ses bottes et son chapeau.

 

Mais c’est vrai, et enfin je comprends, comment la nuit entrerait-elle dans nos chambres s’il n’y avait ces fentes dans les volets ?

samedi 15 juin 2024

5766

J’aime observer les allées et venues des passants dans les rues, comme ils flânent ou vaquent, indolents ou résolus, comme se croisent leurs trajectoires, sans heurt le plus souvent, chaque poisson dans sa rivière, et je me demande quand, comment et pourquoi va cependant germer dans l’une ou l’autre de ces têtes l’idée puis le projet de la guerre.

 

Ses notes dissonantes me vrillent les tympans. Nul à la flûte, mais virtuose à la sarbacane.

 

Les deux gestes les plus rapides, résolus et maîtrisés de ma main : signer et raturer. Faudrait savoir.

vendredi 14 juin 2024

5765

Montres à nos poignets, pendules dans nos salons, réveils sur nos tables de chevet, horloges à nos frontons… partout les aiguilles tournent… et c’est ainsi que le temps file, propulsé par toutes ces hélices.

 

Il prétend, preuves à l’appui, que tous les papillons de sa collection se sont fait hara-kiri.

 

L’écrivain est bien tranquille. Que lui arracherait-on sous la torture qu’il n’ait confessé si complaisamment dans ses mémoires ?

 

jeudi 13 juin 2024

5764

La culpabilité me ronge… Pourquoi suis-je vivant, moi, pourquoi ai-je survécu alors que tous les autres sont morts, Diderot, Baudelaire, Flaubert, Proust, Beckett… ?

 

Notre globe sera d’abord englouti pour mieux s’évaporer ensuite (si j’ai bien compris).

 

(Ne soyons donc pas trop pressés de régler le différend entre l’ablette et l’alouette.)

 

mercredi 12 juin 2024

5763

La défense de l’identité nationale passe par celle de notre langue. Or, je suis désolé, Le Pen n’est pas français. On dit LA Peine, avec des larmes dans la voix.

 

L’écrivain souhaite s’attacher son lecteur par ses livres comme Kafka ses amoureuses par ses lettres : fermement, mais à bonne distance.

 

Platon doit tout à Socrate, auquel il n’a cependant rien compris puisque l’on voit mal comment l’amour platonique pourrait finalement nécessiter l’intervention du maïeuticien si cher à celui-ci…

mardi 11 juin 2024

5762

Le vigile de ce magasin de sport fait au moins deux mètres. Je renonce au ballon de basket que j’étais venu voler et je sors en me glissant entre ses jambes avec un palet de hockey.

 

Crashés au pied de l’arc-en-ciel, les avions de la patrouille de France.

 

Plusieurs scénarios possibles pour l’Apocalypse, le plus probable à ce jour restant tout de même celui de ma seule mort, suffisante pour tout abolir.

 

[Mercredi 26 juin, 20 h, à la Maison de la poésie, dernière étape de la saison pour le Marathon autofictif, par Christophe Brault. Réservation recommandée.]

lundi 10 juin 2024

5761

Il aurait mieux valu explorer le monde à reculons afin de ne jamais perdre de vue les terres conquises et de veiller sur cet éden plutôt que de laisser derrière nous cendres et désolation.

 

Je n’ai jamais personnellement connu de hareng. J’imagine que ça me manque un peu.

 

Ce ne sont pas tant les opinions tranchées qui me font peur que le tranchoir de ceux qui les énoncent.

dimanche 9 juin 2024

5760

Puce minuscule et gros bonhomme, peut-être, mais vrai corps à corps.

 

Grâce aux logiciels de retouche et à l’IA, nous pouvons désormais nous constituer sans quitter notre salon de magnifiques road books photographiques attestant notre présence partout où nous le voulons dans le monde, incrustant le baroudeur immobile dans tous les paysages, devant tous les monuments. Il faut me voir tournoyer sur un pied au sommet de la pyramide de Khéops ! Je médis souvent des nouvelles technologies, mais se trouver ainsi dispensé des corvées du voyage sans en perdre les profits est tout de même un notable progrès.

 

(Le mouton, le bœuf et le poulet aussi pédalent plutôt efficacement dans la semoule, dopés à la harissa.)

samedi 8 juin 2024

5759

Leur couple se délite. Cela fait six mois au moins qu’ils n’ont pas regardé une série ensemble !

 

Alors je dois reconnaître que si ce type qui s’immobilise devant la terrasse, vitres baissées, puis descend de son utilitaire sans couper sa musique, atroce musique, pour livrer au bar ses cagettes de frites, si ce type, donc, qui effectue maintenant des allers et retours avec son diable, était mort hier soir, l’air serait plus léger et ma littérature moins vindicative, moins acerbe, puisque je m’apprêtais à glisser un nénuphar entre le premier et le troisième vers de mon haïku quand le pétaradant bonhomme m’a piqué la place pour garer sa friteuse.

 

On a retrouvé des fragments de peau du comptable sous les ongles de l’escogriffe.

vendredi 7 juin 2024

5758

Les livres au programme pour le bac de français l’année prochaine sont donc Manon Lescaut, Les Caractères (livres V à X), On ne badine pas avec l’amour et Les Cahiers de Douai. Je ne conteste pas ce choix mais, sitôt celui-ci connu, sortent en librairie des éditions scolaires hérissées d’appels de notes (pas moins de dix pour Ma Bohême, avec la traduction en bas de page et en français pauvre de paletot et culotte : veste et pantalon), des dossiers comprenant des exercices ou, plus exactement, des Activités d’appropriation (Réécrire en l’actualisant un des poèmes du recueil), des rubriques intitulées Arrêt sur lecture ou Vers l’exposé et l’entretien avec l’examinateur ou encore Fenêtres sur…, afin d’ouvrir l’horizon, où l’on recommande par exemple, pour accompagner la découverte possiblement décevante de Rimbaud, la lecture à coup sûr exaltante de Jean Teulé et Philippe Besson…

 

Pour la première fois, une agonisante prête à rire, et c’est la littérature…

 

Que vienne plutôt la fin des temps !

jeudi 6 juin 2024

5757

Menacé par les bêtes féroces, sans protection contre les rigueurs du climat, le premier homme a dû mettre au point en catastrophe des méthodes de survie en milieu hostile. L’énergie du désespoir est le principe de toute l’aventure humaine. Mais cette énergie-là aussi s’épuise et je ne suis pas sûr que l’éolien soit la solution.

 

Quand on tombe de cheval, il faut remonter à vélo tout de suite : ça ne s’oublie pas.

 

L’écrivain doit se confronter au réel, c’est le mot d’ordre. Mais voici que ma phrase chauve-souris s’essore et virevolte sous la lune en évitant tous les obstacles. Ma foi, je la laisse faire.

mercredi 5 juin 2024

5756

Federer, Nadal et Djokovic aussi, je ne suis pas seul, l’heure du déclin et de la retraite sonne pour tous les champions de ma génération. Dans la lumière dorée du crépuscule, nos silhouettes alourdies s’éloignent en clopinant pour disparaître bientôt derrière la ligne d’horizon, avec le soleil.

 

Toutes les œuvres post-Hume, publiées donc après 1776, doivent-elles vraiment être attribuées au philosophe écossais ?

 

Je n’aurais jamais dû prendre le supplément crème, dans un poème, c’est écœurant.

mardi 4 juin 2024

5755

La mourre – comme ça se prononce – est un jeu de hasard qui fut en vogue un moment avant de se voir supplanté par le chifoumi.

 

Ne te tire pas une balle dans la tête, ce trou rendrait inutilisable la chope qu’il aspire justement à devenir.

 

J’ai tout de même le tact de donner mes phrases à lire une par une quand la plupart des écrivains en font un méchant sac de nœuds qu'il appartient au lecteur de débrouiller.

lundi 3 juin 2024

5754

Les nombreuses correspondances publiées de Perros se terminent toutes de la même façon : cancer de la gorge, laryngectomie, puis silence (magie de l'ardoise éventée). Malgré quoi le fidèle lecteur qui attaque un nouveau volume veut encore y croire. Peut-être, pour une fois, une fin heureuse...?

 

Quelle jolie musique fait ce troubadour ! Ce sont les bouteilles qui tintent dans son bissac.

 

Je n’avais pas écrit trois mots que ma phrase fuyait en zigzags devant mon crayon comme un serpent et disparaissait dans la marge.

 

dimanche 2 juin 2024

5753

Ce vieil antiquaire refuse mon offre, prétextant qu’il n’est pas à vendre. Dommage, il m’aurait fait un superbe grand-père.

 

La cloche à fromages annonce aux fidèles la canonisation inattendue de Nectaire, Félicien, Paulin et Marcellin.

 

J’écrirai pour les lecteurs quand les lecteurs liront pour moi.

 

samedi 1 juin 2024

5752

Je me suis procuré une toile vierge et un châssis du XVe siècle. Scrupuleusement, j’ai cherché les pigments, les huiles, les fixateurs, les pinceaux et les brosses en usage à Milan à l’époque de la Renaissance. Il ne me reste plus qu’à devenir Léonard de Vinci.

 

Montant et descendant à vive allure, l’escalier est violemment entré en collision avec lui-même, de là ce lamentable aspect d’épave en accordéon.

 

Mais jamais la queue de poisson de la daurade ne précipite le chalutier sur les récifs.