Ce qui tuera la littérature, c’est le soin que l’écrivain prend désormais de son lecteur, toutes ces prévenances, toutes ces précautions, afin de ne pas le choquer, afin de ne pas le perdre, afin de ne pas passer à ses yeux pour un pédant ou un phraseur… et parce qu’il le craint ! L’écrivain aujourd’hui est terrorisé par son lecteur, il a peur de son jugement, peur de ses plaintes, peur de son ennui, peur de sa susceptibilité, peur de son dénigrement, et peur suprême surtout qu’il n’achète pas son livre.
L’éditeur tremble aussi. L’adjectif ‘visqueux’,
dans le manuscrit que vient de lui remettre son auteur, qualifie certes en
l’occurrence le filet d’essence qui suinte du réservoir d’un biplan américain
en 1917 mais il pourrait bien susciter la fureur de la puissante corporation
des poissonniers considérant que leur commerce est sournoisement discriminé. Et
de là, poursuites. Procès. Retrait du livre. Pilon. Dédommagement ruineux.
C’est trop risqué. On ne publie pas. Ou alors tu remplaces ‘visqueux’
par ‘frais, charnu, sans arêtes, pêché de manière responsable dans le souci
de la préservation de l’écosystème marin’.
Nous irons chercher des frissons dans les
littératures anciennes, avant le grand autodafé.