jeudi 2 mai 2024

5722

Qu’avons-nous mangé, bu ou respiré ? Quel nuage toxique est passé sur nos fronts ? Aurions-nous été frappés par un rayon extraterrestre ou cosmique délétère ?

 

Tous mes camarades d’études et moi-même, touchés par ce débilitant syndrome, brutalement propulsés dans le temps, avons vieilli d’un coup de quarante années ! Je ne sais si l’on peut se représenter l’horreur de notre condition, l’effroi de cette métamorphose si soudaine.

 

Quand nous nous croisons, nous ne savons qu’échanger des regards médusés, des paroles brèves, nous nous effleurons avec gêne, puis nous nous séparons, vieillis encore et plus déprimés. Je crois que ces rencontres ne nous valent rien.

 

mercredi 1 mai 2024

5721

Je le reconnais, il vendait des jonquilles à la sauvette il n’y a pas si longtemps. Il vend aujourd’hui du muguet ! Cette incapacité à se tenir à une même activité plus de quelques semaines témoigne d’une absence de vocation assez navrante.

 

Il faut se méfier de l’eau qui dort comme une Loire.

 

Incommensurable, le nombre d’êtres qui ne sont pas venus au monde, pour ne citer que mon oncle Léonce, si pittoresque avec ses nœuds papillon et ses bésicles, et qui n’a effectivement jamais vu le jour.

mardi 30 avril 2024

5720

Le ciel dans la flaque, tombé avec la pluie.

 

La force est inutile pour fendre une bûche en deux d’un seul coup de hache. Un geste fluide, une juste présence au monde suffisent. On voit des gringalets se constituer en sifflotant leur provision de bois pour l’hiver pendant que le cogneur baraqué noyé de sueur s’échine en rugissant à dégager son fer fiché pour l’éternité dans le premier rondin. J’aurais volontiers tourné la chose en apologue et étendu cette leçon de subtilité à l’amour et la littérature si je n’étais pas un peu pressé ce matin.

 

Mouche dans le lait visait la bouse.

lundi 29 avril 2024

5719

Intelligence artificielle, véhicules autonomes, satellites et robots alimentés par l’énergie solaire, programmes informatiques affranchis de notre contrôle… Notre instinct de survie dévoyé ordonne en catastrophe un monde où l’homme aura vécu.

 

Au bout du tunnel, le cul d’une taupe.

 

Bien résolu à mourir, j’ai lesté mes poches de galets et je me suis jeté à l’eau. Mais j’ai ricoché à la surface, ricoché, ricoché – je ricoche encore.

dimanche 28 avril 2024

5718

J’ai vu aujourd’hui une vache se gratter la tempe avec le sabot de sa patte postérieure droite. Elle a tenu l’équilibre longtemps, mais il semble malgré cela que l’élucidation ne soit pas venue et son regard était toujours aussi bovin lorsqu'elle est finalement retombée d’aplomb.

 

L’amour est aveugle, mais ce n’est pas grave. Il suffit de lui rincer l’œil pour qu’il recouvre la vue.

 

Ma longévité est tout de même très exceptionnelle puisque j’aurai 60 ans révolus aux prochains jeux olympiques !

samedi 27 avril 2024

5717

L’incertitude me taraude : suis-je un écrivain du XXe ou du XXIe siècle ? J’ai vécu à ce jour trente-six années au XXe, durée qui n’augmentera plus même si je cherche bien dans mon passé, et vingt-quatre au XXIe, nullement assuré de dépasser ni même d’égaler la remarquable persistance dont j’ai fait preuve au précédent.

 

Certes, mais, par ailleurs, j’ai écrit et publié davantage de livres au XXIe qu’au XXe et c’est bien cet effort, si je ne m’abuse, qui constitue un écrivain.

 

La question n’est donc pas facile à trancher. Je me suis laissé dire que l’on assistait déjà dans l’Université à de rudes empoignades sur le sujet. Lagarde aurait frappé Michard qui aurait mordu Lagarde en retour. Entendez-vous, par pitié, je n’aimerais pas mourir sans connaître le fin mot de cette exaspérante énigme !

vendredi 26 avril 2024

5716

Gisant contusionné dans la poussière, il regardait le banc vide qui s’était cabré et l’avait si brutalement envoyé valser… J’arrivai alors, et m’assis tranquillement dessus, lançant au bonhomme éberlué en ouvrant mon livre : – C’est mon banc !

 

L’écrivain est cet énervé qui ne laisse jamais l’encre former tranquillement sa flaque.

 

Les gens ne fument plus ; ils ne se demandent plus de feu. Les gens ont tous une horloge et un GPS sur leur téléphone ; ils ne se demandent plus l’heure ni le chemin. Cette fois, je crois bien que nous n’avons plus rien à nous dire.