jamais ne vire ni ne chavire
sur mon banc
va mourir
houleux passant
état et situation stables
sur mon banc
va au diable
boiteux passant
et dis-lui là-bas où je suis
hasardeux passant
je l’attends ici
sur mon banc
jamais ne vire ni ne chavire
sur mon banc
va mourir
houleux passant
état et situation stables
sur mon banc
va au diable
boiteux passant
et dis-lui là-bas où je suis
hasardeux passant
je l’attends ici
sur mon banc
La menace se rapproche. Le sol tremble. Il accélère pour gagner l'abri dont la porte là-bas lentement se referme. Dans son dos, le grondement de la vague. Sur sa nuque, l'haleine du fauve. Dans un ultime effort, il se jette en avant et roule dans l'abri. Derrière lui, la porte claque. Il s'en sera fallu d'un rien. Il l'a échappé belle. Il est mort.
Pourquoi ne pas appâter le gibier comme les
poissons ? Si l'on coiffait sournoisement la balle d'un petit chapeau de gland,
le sanglier alléché foncerait droit sur elle.
Or qu’exhale le chant du cygne sinon son regret
de ne plus être un vilain petit canard ?
J'ai enlacé le tremble pour lui redonner confiance, le saule pour le consoler et le chêne a puisé dans mon étreinte assez de force pour atteindre l’âge de cent ans, j'ai nourri, torche vivante, le feu qui se mourait, j'ai baisé la lépreuse dans la grotte où nageait la sirène, j'ai fait de mon dos un banc pour la fille et le garçon. Suis-je vraiment une brute insensible ?
J'ai peint au vernis à ongle l’œil vitreux de
la coccinelle, j'ai distrait l'éphémère de son ennui tenace, j'ai rendu au vent
son chapeau pris dans les ronces, j'ai laissé gagner l'étalon, j'ai saigné par
complaisance tant que les branches du cotonnier me tendaient du coton, j'ai
fait de mon ventre un hamac pour la fille et le garçon. Suis-je vraiment une
brute insensible ?
Je n'ai ôté ni la peau ni la croûte, j'ai
croqué aussi l'os et le noyau, j'ai léché les surfaces et foré les profondeurs,
j'ai dormi dans la ruine d'un bon sommeil réparateur, mes oreilles sont restées
muettes et sourds mes yeux pour ne pas troubler le silence du mort, mes mains
n'ont formé des poings que pour n'être plus des serres, j'ai fait de mon âme un
tombeau pour la fille et le garçon. Suis-je vraiment une brute
insensible ?
Nous admirons le brave, l'aventurier, comme il mord dans la vie, tout ce qu'il avale, tout ce qu'il découvre, tout ce qu'il conquiert ! Oubliant que nul n'avance si résolument sans laisser derrière soi une trouée de char d'assaut, larmes et poussière, le monde en ruine des êtres et des choses qu'il a laissés tomber.
La jolie petite Angèle se branle chaque nuit
sous son drap et il est des aveux reçus en confession plus faciles à oublier
que d'autres.
Il aura fallu faire tenir l’Atlantique dans le
Léman et aujourd’hui verser le mélange dans le bassin du jardin de l’Arquebuse.
Quant à mon banc au bord, ni moi dessus, nous n’avons pas bougé.
Je me suis débattu avec eux dans le sac où se noyaient les chatons, j'ai attendu qu'elle soit morte pour écorcher la carotte, je n'ai pas touché à mes brocolis, j'ai manifesté contre le gavage des oiseaux-mouches et l'ostréiculture sucrière, j'ai enlacé dans mes rimes gentille et mignon pour la fille et le garçon. Suis-je vraiment une brute insensible ?
J'ai fait mon beurre avec du lait de pluie et
mon vin en marchant sur des œufs, j'ai moulu mon blé sans faire de foin, j'ai
tressailli en surprenant entre les pans de sa robe de chambre la nudité de la
pomme de terre, j'ai aimé que l'eau ne se laisse voir qu'à travers l'eau, j'ai
éloigné bisbille et guignon de la fille et du garçon. Suis-je vraiment une
brute insensible ?
J'ai refusé la gloire pour épargner le marbre,
j'ai ignoré superbement la dispute entre les dieux, je me suis prosterné devant
la fourmi, enfant attardé, j'ai ralenti encore, j'ai mêlé mes doigts aux doigts
racornis du platane quand l'automne est arrivé et je suis resté jusqu'à son dernier souffle adossé à son bois de lit, j'ai planté charmille
et buisson pour la fille et le garçon. Suis-je vraiment une brute insensible ?
Le lac est calme ce matin, ses eaux parfaitement étales, on pourrait marcher dessus. En ôtant ses chaussures pour ne pas salir, s'il vous plaît.
Bref échange avec
un pêcheur à la ligne sur le quai du port de Nernier où je note des idées,
assis sur un banc.
– Ça mord ?
– Quelques
prises, mais bien petites. Je les rejette à l'eau.
(Précisons que
c'est le pêcheur qui pose la question, et moi qui lui réponds.)
La déception même est décevante de n'être
jamais que ce que l'on pouvait craindre en effet.
J'ai vu, le cœur serré, s'user jour après jour le tablier de la servante, j'ai frémi quand a grincé le volet de la chambre où Mary Shelley écrivait Frankenstein, j'ai observé que les milans désertaient le ciel du lac quand les canetons devenaient trop lourds à enlever, j'ai suffoqué toute la nuit dans le plafonnier, j'ai pleuré sur le passé de la fille et du garçon. Suis-je vraiment une brute insensible ?
J'ai éprouvé dans ma chair la honte du gros cycliste arrêté dans la pente, j'ai laissé la guêpe butiner ma côtelette, j'ai plaint l'homme patibulaire au crâne fendu dans Stevenson, j'ai cherché dans tous les dictionnaires un joyeux synonyme pour la mélancolie, j'ai pleuré sur le présent de la fille et du garçon. Suis-je vraiment une brute insensible ?
J'ai repris chez Dilou une part de son quatre-quarts sans beurre, ni farine, ni œufs, ni sucre, j'ai tissé pour l'araignée les soies de mon torse et de mes flancs, j'ai souri à des dents noires, j'ai embrassé le crépuscule d'hiver, j'ai aidé de la main le flocon à atterrir en douceur, j'ai pleuré sur le devenir de la fille et du garçon. Suis-je vraiment une brute insensible ?
Attention, petit bateau, en quittant le port ce matin, ne va pas fendre l'eau sans fendre aussi le brouillard ou tu n'iras pas loin !
Comment détacher le regard de l'enfant de 2 ou
3 ans duquel chaque expression, chaque geste, chaque posture et chaque mot
surprend pour le reporter sur l'adulte qui l'escorte, aussi prévisible en
chacune de ses attitudes que s'il gisait déjà sur son lit de mort ?
L'alcool et les drogues aggravent le malaise en
le soulageant. Et n'est-ce pas encore la caresse qui dispense le mal d'amour ?
Qui nous guérira ?
Point trop mauvais nageur pourtant, je ne m'éloigne jamais beaucoup du bord. Il y a cette imperceptible frontière au-delà de laquelle ma sensation de plénitude se lézarde de micro-accès de panique. Et il se pourrait bien que telle soit en tout domaine mon expérience de la volupté.
Si Balzac n'était pas mort prématurément à 51
ans, il aurait aujourd'hui 226 ans !
Troc de bon aloi. Sa tenaille contre ma pique à
bulots. Mieux armés, désormais, pour affronter la vie (et ses voluptés), ce
homard et moi.
Il est pourtant bien aventureux de porter nos vêtements à même le corps, si près de son réseau affleurant de veines et d’artères, tant le risque est grand en effet de les tacher de notre sang à un moment ou à un autre.
Vorace, omnivore, avide pareillement de pain
aillé, d’échalote hachée, de ciboulette ciselée, d’œuf et de crème fraîche, la
carpe de toute évidence sait qu’elle sera bien meilleure farcie.
Mais en vérité, l’âme se montre plus volontiers
que le cul.
Nos regards se sont croisés. Mais je l'ai vu comme l'homme voit le chat et il m'a vu comme le chat voit l'homme. Et l'incompréhension eût été totale s'il n'y avait eu sur nous l’œil de la lune pour tout éclairer.
La surpopulation ne serait pas un tel péril
pour la planète, n'était l'importance que chacun se donne.
Puis il apparut aussi que seuls les beaux
textes et les bons livres se laissaient déchiffrer à la lumière de la lune,
l'obscurité absorbant tous les autres et que nous disposions donc enfin de
l’œil lucide qui ferait sans méprise le tri nécessaire.
De tempérament mélancolique, rien ne m'accable davantage que la fatalité du nevermore. Disposition qui paradoxalement me permet d'envisager avec moins d'épouvante que la majorité de mes semblables – puisque s'y mêle aussi l'espoir fou d'une reviviscence – la perspective d'un jour peut-être à nouveau faire pipi dans ma couche.
Mais pourquoi serait-ce au genou d'expier sur
le prie-Dieu le dévergondage de la cuisse ?
Cette gamme de cosmétiques propose une Crème
anti-rides et une Crème 1ères rides, reconnaissant
implicitement que l'usage de la première n'évitera pas l'usage de la seconde ni
par conséquent, est-il encore sous-entendu, que cette dernière non plus ne vous
empêchera pas d'avoir demain une tête de vieille pomme.
Elle ira demain matin pêcher des crevettes sur
la plage du Marais salé. C'est une dame qui crie cela à l'intention d'une autre
dame d'un bout à l'autre du marché et, comme l'information semble importante,
j'estime de mon devoir de la répercuter dans cette chronique assez fréquentée.
N'hésitez pas à vous en faire l'écho à votre tour.
Sur cet escarpement, nidifient les oiseaux
marins. Le site est protégé et il est interdit de s'en approcher, même en
pantoufles. Suite à un arrêté préfectoral exceptionnel motivé par une pétition
ayant recueilli plusieurs milliers de signatures, il a malgré tout obtenu
l'autorisation de s'y établir pour travailler son biniou.
– Avec ma copine
Fabienne ! ajoute la dame. À bon entendeur.
Enfin un événement qui pourrait relancer le cours un peu languissant de ma biographie et, du même coup, les ventes de l'ouvrage : mon neveu Félix a joué cette semaine au basket sur l'île avec Pierre Niney.
Un plan d'eau, l'Atlantique, même s'il aura fallu pour que tu t'en avises que la mouette en s'y posant se change en canard.
Il est pourtant une éponge que j'essore sans dégoût – le baba.
Pour jouir d'une totale liberté de mouvement : avoir dans chaque port un banc à l'amarre .
L'île est un monde en soi, comme le monastère. On y tourne en rond. C'est un saint voluptueux qui a fondé cet Ordre mais il veille toutefois à la stricte observance des routines. Voilà pourquoi il est si difficile de rompre avec la règle et de retourner à la vie laïque sur le continent.
Tu ne bronzes plus au creux des rides. Tu as déjà vécu tant de derniers étés et éteint tant de soleils.
J'ai eu tort et je me repens. J'ai voulu substituer à l'espadrille de toile qui habille depuis toujours en été mon pied d'une seconde peau, souple mais solide, une espadrille de cuir qui m'épargnerait, pensais-je – ô naïf ! –, le seul inconvénient de la première dont le tissu à force se distend et qu'alors je déchausse.
Et certes, sur ce point, j'avais vu juste : l'espadrille de cuir, toute couturée d'empiècements et de renforts, ne se distend pas. Mais alors pas du tout. Du tout du tout, ni le moins du monde. Et dedans mon pied suffoque, talon à vif, orteils tuméfiés, mieux orné d'ampoules irradiantes que la place de la mairie pour le bal du 14 juillet. Mais je ne risque pas de danser. Chaque pas est une souffrance.
Chaque pas m'arrache un cri. Je me repens, je ne le ferai plus. Sitôt achevée la cicatrisation de mes plaies, je glisserai mon pied dans l'espadrille de toile souple et solide. Et, dès qu'elle commencera à se distendre, je saurai que je suis pardonné.
Fine ligne de nuages parallèle à l'horizon. Ou serait-ce la trace laissée par la montée des eaux, ce jour du siècle dernier où la mer fut si grosse ?
ciel et sol
mouchetés
mouettes et guano
Le cul tient son livre si bien fermé que l'on se demande pourquoi il s'est choisi ce bon fauteuil près de la lampe.
On reconnaît l'araignée de mer femelle à son abdomen, plus bombé que celui du mâle, quand on la surprend sous l'eau, ou à sa chair plus délicate, quand la rencontre se produit dans une assiette.
Ah, ma petite, si tu veux caresser le doux chaton de la voisine, il va d'abord falloir embrasser sa joue qui pique !
La fleur se ferme à l'instant où le papillon de nuit prend son envol. Qu'importe, je suis habitué à butiner au pied des arbres les fruits pourris.
J'entre dans le magasin de souvenirs de la mer, tout me tente, puis je me décide pour des soles et des langoustines.
Serait trop joufflu pour le selfie, l'orang-outan, si, miracle de l'évolution, ne lui avait poussé ce bras si long.
Ce rond-point est dépourvu de sorties. Vieille astuce de forain qui nous oblige à enchaîner les tours de manège.
Sublime invention, et si humaine, le porte-avions permet de lancer de foudroyantes attaques aériennes depuis la mer. Mais que faire quand il semblerait tactiquement judicieux voire décisif pour l'issue du combat de lancer une attaque navale depuis le ciel ? Où l'on voit que même le malveillant génie de l'homme a ses limites.
Rien de plus triste et lamentable que ces hockeyeurs amaigris dérivant sur un morceau de patinoire.
Il m’aura fallu un peu plus de deux heures pour faire à vélo le tour du vaste monde ce matin. À ma décharge, j’avais le vent de face.
Beaucoup de 2CV et de 4L sur l'île. Les voitures aussi y retombent en mon enfance.
Son livre pète de santé, de vitalité. Je n'ai pas trop de toute ma mélancolie pour le rendre supportable.
Elle la tient entre deux doigts, mais est-ce une tasse de thé ou une tong ?
Hier, un poulpe s'est baigné en même temps que Suzie et moi dans l'anse des Fontaines.
On appelle ici agoyaux les tuiles renversées qui débordent du faîtage à intervalles réguliers, permettant l'écoulement des eaux de pluie. Elles font fonction de gouttière mais préfèrent le beau temps et rayer joliment de leurs ombres diagonales les façades blanches des maisons.
En revanche, cher monsieur, le bermuda n’a pas été inventé pour mettre en valeur vos chaussettes !
On se lasse des jeux de l'enfance et j'ai depuis longtemps cessé de sculpter dans les nuages de gros bonshommes de pluie. Mais qu'est-ce que j'ai pu m'amuser à cela !
Il fonce sur sa trottinette électrique en consultant son portable. On devine tout de suite qu'il s'agit d'un jeune prêtre traditionaliste (à sa soutane).
La lanterne tournante du phare au bout de l’île signale ce havre aux marins et, pour les habitants, le péril qu’il y aurait pour eux à s’aventurer au-delà, dans l’enfer du monde.