jeudi 31 juillet 2025

5952

J’ai cependant un peu honte d’avouer que l’existence du bulot qui ne finit pas dans ma bouche après s’être complaisamment roulé dans la mayonnaise me paraît bien vaine et même indigne d’être vécue.


Une main soudain jaillit de la manche à air gonflée à bloc et saisit Suzie par les cheveux.


Elle sort de la pharmacie, serrant dans ses mains osseuses un petit sac de papier blanc, elle se hâte, ses yeux brillent et il me semble bien qu’elle salive.


mercredi 30 juillet 2025

5951

Alors il reprit l’amour qu’il portait à son grand-père, aux papillons, aux ânes, aux œillets, à l’Italie, à Verlaine, à Van Gogh, au vieux rhum et aux desserts meringués pour grandir encore la passion qu’il vouait à cette dame si farouche, mais celle-ci repoussa une nouvelle fois son offrande, le laissant seul et misérable dans un monde désormais privé de toute joie, de toute affection, de toute saveur et de toute beauté.


Le crabe nous confiera-t-il enfin l’idée qu’il a derrière la tête ?


Le thon est un bel animal au corps parfaitement profilé et si compact que le génie pervers de l’homme ne pouvait que vouloir le réduire en miettes dans une boîte ronde.

mardi 29 juillet 2025

5950

Nous contemplons le tableau de leur âme comme une œuvre de Bosch, de Goya ou de Munch. Oubliant que pour leurs familles, leurs amis, leurs amantes, tous ces tourments des écrivains illustres, leurs vertiges, leurs cauchemars, leurs angoisses, leurs phobies, leurs effrois, leurs émois ne furent jamais que... des chichis.


Bien placé sur le plateau du Scrabble, le mot KEN, circonscription administrative au Japon, rapportera 36 points à la grand-mère triomphante et créera, entre elle et sa petite-fille consternée, un très beau moment d'incompréhension.


Un livre est à la fois un lapsus calami et un acte manqué. C'est pourquoi il nous révèle tant de choses sur son auteur.


lundi 28 juillet 2025

5949

Depuis la jetée du port, le continent est invisible, hormis pourtant, comme planté sur la ligne d’horizon, assez bêtement, un château d’eau.


il n’est de foule où tu ne sois

de désert où tu ne te caches

et lorsque l’océan se fâche

je te reconnais bien là


Mon crâne se dégarnit sur l'arrière, paraît-il, chose dont je pourrais me rendre compte par moi-même sur les photos où j’apparais de dos, certes, si je n'en profitais plutôt alors pour reluquer mon très joli cul.


vendredi 25 juillet 2025

5948

En échange de ton aumône, il t’offre le chapeau ! Tel est ce chapelier, si facilement ému de reconnaissance.


Il est bien rare que la fourchette n’obtienne pas ce qu’elle veut.


Mais appellerons-nous l’Élu l’homme que la foudre a choisi entre tous ?



jeudi 24 juillet 2025

5947

S’éloignant avec tact de la table où elle était assise avec ses amis afin de ne pas les gêner en répondant au téléphone, elle se rapproche de la mienne et se lance dans une conversation animée dont je ne perdrai pas une miette.


À l’instant où tu hurles parce que ton gros orteil a rencontré le pied du lit, combien de personnes meurent en effet ?


La vie lui sourit au nez.


mercredi 23 juillet 2025

5946

Le bon débarbouillage révèle aussi un nouveau trait de ta laideur.


l’eau si limpide

plein ce que sera vide


Le fuyard est souvent plus rapide que son poursuivant. Que n’en profite-t-il pour se retourner et le prendre en chasse ?



mardi 22 juillet 2025

5945

Ce que la vague apporte et ce qu’elle vient chercher. Nous ne décidons pas des termes de l’échange.


Blondinet joufflu. Son père tout juté. Prison cellulaire à perpète, pieds et poings liés.


Le contrôleur des impôts a épluché mes livres sans y trouver nul indice d’un profit dissimulé.


lundi 21 juillet 2025

5944

L’hameçon accroche l’œil de son fils derrière lui tandis qu’il effectue son lancer. L’enfant restera borgne, mais l’appât était bon et ce bar en papillote promet d’être délicieux.


par la chatière

entre le rat

sort le gruyère


Je peux sauver une vie, prétend la bouée, mais le O que forment ses lèvres suggère plutôt qu’elle va boire la tasse à son tour.


vendredi 18 juillet 2025

5943

Le réel se dédouble, filmé en permanence sur toute l’étendue par des milliards de téléphones et de caméras. C’est cette transposition cinématographique simultanée et sans coupes qui d’ailleurs nous le confirme : il y a des longueurs.

 

Car tu peux t’appeler joliment zopilote ou urubu et n’en être pas moins un avide charognard qui flaire les gaz de putréfaction à dix kilomètres des carcasses.

 

Parfois, c’est le contraire. Toutes les pièces du puzzle sont égarées, sauf une. Qui sera donc le seul et très suffisant paysage. Trois semaines sur l’île.

 

jeudi 17 juillet 2025

5942

Depuis que l’écrivain travaille sur ordinateur, il se croit ambidextre, alors que non, il possède toujours une main inapte, une main qui ne sait pas écrire et qui produit pourtant autant de texte que l’autre. On voit le résultat.


gros vent

mon bilboquet

un cerf-volant


Et maintenant, essorons la serpillière qui s’est gorgée du Léman.



mercredi 16 juillet 2025

5941

Nous reconnaissons le milan à sa queue fourchue, sinon à son bec crochu quand on est un campagnol et que l’on a par conséquent la chance de le voir de plus près.


L’homme, cet animal étrange qui cherche les toilettes.


Elle a tant d’amour-propre que je suis un peu jaloux. 

mardi 15 juillet 2025

5940

Assis sur mon banc, à Nernier, je regarde les montagnes suisses de l’autre côté du lac. Il m’apparaît que le Fuji se découperait très avantageusement aussi sur le Léman. Dommage qu’il n’y en ait qu’un – et que jamais il ne change d’horizon.


L’écrivain doit composer avec des mots qui mentent. Vivier, par exemple.


Or nous aurions le mal de mer aussi si nous voguions sur les montagnes.


[La revue américaine Substance m’a invité à participer à son dossier arboricole. Un numéro dirigé par Thangam Ravindranathan et Nathalie Dupont, que je remercie. On peut lire ici ma contribution, extraite de ce journal et dédié à mon valeureux éditeur, The Avenging Tree.]

lundi 14 juillet 2025

5939

Il y a dix ans et plus, je citais volontiers dans ce journal les mots si charmants de mes filles, attribuant leur finesse, leur profondeur et leur drôlerie au génie de l’enfance s’exprimant par leurs bouches naïves. Oh, comme j’étais injuste, mes chéries ! Cette année, Agathe : 20 à l’écrit et 19 à l’oral du bac de français ; Suzie : mention Très bien avec félicitations du jury à l’épreuve du brevet (40/40 en rédaction)... Je vais leur céder la baraque.


Bon pied (dans la tombe), bon (d)œil.


Ballet d’hirondelles ce soir sur le lac, qui chassent au ras de l’eau – ah ! mais voilà donc le secret de ce ventre si blanc !


vendredi 11 juillet 2025

5938

Souvent, je rêve que j’écris. Et de belles choses, vous pouvez me croire ! Seulement, je n’en ai plus aucun souvenir au réveil, juste une impression, cuisante comme un remords.


Or ce matin, me revient de l’un de mes rêves, non une de ces pages de poésie nouvelle, mais un échange téléphonique avec une personne de ma connaissance, réellement atteinte d’une maladie grave. Comme je lui demande comment elle se sent, elle me répond : « oh, ça va comme un troupeau. »


Et immédiatement je comprends le sens de cette heureuse formule : sa santé est fluctuante, ça va ça vient, il y a des jours terribles, des jours meilleurs, certaines de ses forces résistent, certaines déclinent, tout comme il y a dans le troupeau mouvant des bêtes plus vaillantes que d’autres. Oui, l’expression mériterait de rester. Ça va comme un troupeau. Mais alors tous ces écrits oniriques effacés au réveil ?! Ma grande œuvre perdue ! Oh, comme ça cuit !



jeudi 10 juillet 2025

5937

J’accélère ma foulée, je prends de la vitesse, je cherche à me fuir en poussant jusqu’au blanc de la disparition le dégradé de ma course afin de rompre tous les fils qui me lient à ma personne, j’y suis presque, mais soudain la fatigue me rattrape et je dois m’arrêter, alors je reviens sur moi d’un coup et du plus loin qu’il me souvienne, comme catapulté, le choc est si brutal qu’il me déséquilibre et que je tombe en avant, le nez dans la poussière. Encore raté. Mais je vais m’aguerrir, travailler le démarrage, travailler l’accélération, et refaire une tentative


lui raide

elle souple

un couple


Deux mondes, l’un sous, l’autre sur le lac. Guère d’échanges entre les deux. Soit tu ferres, soit tu coules.

mercredi 9 juillet 2025

5936

Dans le petit port de Nernier, la monitrice qui tracte sur son Zodiaque une ribambelle d’Optimists chargés d’enfants croise une cane suivie de ses sept canetons en file indienne, et je me demande laquelle se moque de l’autre.


Pervers et sage, pourtant, celui qui jouit de l’humiliation qu’on lui inflige. Son bourreau est à son service, condamné à ne plus produire que de la bave et des excréments.


La grève des contrôleurs aériens ne nous a guère affectés ici. Il y a toujours quelques milans qui tournent dans le ciel.



mardi 8 juillet 2025

5935

Il ne saurait être question que cette page reste blanche. Je ne vais quand même pas m’employer à ne rien faire !

 

On aura une plus juste idée de la vie quotidienne du tamanoir en quête de sa pitance quand on saura qu’il ne mange que les cuisses de la fourmi.

 

Enfin, il rase cette vilaine barbe. Que nous lui conseillons aussitôt de laisser repousser.

lundi 7 juillet 2025

5934

Les conditions d’abattage restent horribles, abominables même, ce qui est d’autant plus injustifiable que nous ne consommons plus de chair humaine.

 

Suis-je vraiment le seul à avoir deviné qu’un petit garçon courait sur le sable au fond de l’océan, déroulant le fil de nylon au bout duquel vole la raie manta ? Il n’y a pourtant aucune autre explication possible.

 

C’est toujours pareil, la fin gâche tout.

vendredi 4 juillet 2025

5933

Il est clair que c’est un raseur, un raseur jovial, mais un raseur, d’autant plus raseur qu’il est jovial, d’ailleurs. Son entrain le rend plus pénible encore, comme s’il portait à son point culminant l’ennui qu’instantanément il inspire.

 

L’homme assis à la terrasse du café et qui le voit venir vers lui, imparable, déjà si allègrement terne, semble résigné. Il referme son carnet, soupire et, d’un coup, vous ne le voyez plus.

 

J’ai disparu dans le tunnel.

  

[Et ne réapparaîtrai que lundi. Comme chaque année, l’Autofictif observera en silence le silence durant les week-ends de juillet et août]

jeudi 3 juillet 2025

5932

Ronde et plate, garnie de tomates, de mozzarelle, d’olives noires et d’anchois, vous êtes bien d’accord, sa casquette ressemble à une pizza. Or il prétend que non, pas du tout !

 

Le mille-pattes irait-il vraiment moins loin à cloche-pied ?

 

Mon type de femme ? L’Italo-nippo-éthiopo-scandinave. Irrésistible. Et si en plus elle a un petit accent de l’est…

mercredi 2 juillet 2025

5931

Je lui ai généreusement proposé de mettre ma tête dans son chapeau. Mais il avait déjà assez de problèmes comme ça et il a repoussé mon aumône.

 

Le nez soutient leurs lunettes, mais que font pour lui les yeux, si ce n’est déplorer toujours sa forme ou sa taille ?

 

Après le fouloir, le défouloir !

mardi 1 juillet 2025

5930

Blouson rouge et casquette siglée, elle aborde les passants pour l’O.N.G. qui l’emploie afin de leur arracher des promesses de dons. Elle a travaillé le positionnement, la gestuelle. C’est important. Elle repère le quidam d’assez loin et marche dans sa direction, le bras levé, en agitant la main.

 

Pour l’heure, l’efficacité reste très relative. Le plus souvent, les passants l’esquivent, sans lui accorder un regard ou en lui lançant une excuse peu crédible : Désolé, je suis Godot, on m’attend, ai-je par exemple allégué moi-même tout à l'heure. Mais son bras se muscle, son poignet gagne en souplesse. Elle est de mieux en mieux campée sur ses appuis. Bientôt, elle sera prête.

 

L’O.N.G. pourra lui remettre le harpon promis.