Hier, au tournoi de tennis de Madrid, Tsitsipas a battu Borges 6-3, 6-3, sous les applaudissements et les hourras du public. Alors, que l’on me permette de rappeler, d’une part, que Borges est aveugle, d’autre part, qu’il est mort depuis trente-sept ans. Donc, à mon sens, l’exploit est plutôt du côté de l’écrivain argentin qui, dans ces conditions très défavorables, on l’admettra, a tout de même réussi à prendre six jeux à un jeune joueur grec surentraîné.
Mais est-ce vraiment
être un âne que de se réjouir de l’abondance de chardons ?
Combien de livres morts
pour moi… Même parmi les plus grands, même ceux de nos chers auteurs, Balzac,
je connais par cœur ta chanson, Hugo, je n’ai plus assez d’entrain pour te
rejoindre au sommet de ton emphase, Kafka, mon âme ne saurait se tordre
davantage, Proust, je suis fatigué de tes subtiles investigations, Céline, j’ai
pour toi la camisole de ma lassitude… Les œuvres sont éternelles, mais le
lecteur prend de l’âge. Car, évidemment, c’est bien moi plutôt qui suis déjà
mort pour elles.