N’est-il pas étonnant que le jury Nobel ait choisi de récompenser ces dernières années trois écrivains français complètement dépourvus d’humour ? Le Clézio, Modiano, Ernaux… pas un rire dans ces dizaines de milliers de pages. Or existe-t-il un seul grand écrivain qui n’ait inventé aussi sa forme d’humour ? Je laisse la question ouverte (mais je ferme un œil).
J’avais beaucoup aimé Les Années, mais les deux ou trois autres récits d’Annie Ernaux que j’ai pu lire m’ont paru nettement plus fluets et leurs phrases mues par des pattes un peu grêles. Il est incontestable que je dois élargir mon expérience de cette œuvre.
En revanche, son principe de neutralité stylistique érigée en morale politique ne me convainc pas. On devine qu’Annie Ernaux considère toutes les formes d’invention verbale, de métaphore, d’expérimentation, de lyrisme, de non-sens ou d’incongruité, de poésie même, comme autant de finasseries précieuses, futiles dans le meilleur des cas, humainement abjectes sinon, fastes indécents dans la misère ambiante, signes d’une domination de classe insultante. Or il n’est pas un étage de la société, pas un corps de métier qui ne développe un goût pour l’invention verbale, pour les expressions imagées, pour les jeux de mots, une verve humoristique, un argot professionnel riche en trouvailles délicieuses. Quelle que soit la personne qui en use, son milieu, son instruction, sa culture, la langue toujours cherche et trouve l’occasion de fleurir. N’ai-je pas dîné hier sur la plage de Sainte Luce d’un poisson grillé à la Baraqu’Obama ?