Mais enfin, comment ce saunier s’y prenait-il pour exercer son activité dans cette région continentale encaissée, si loin de toute mer et de tout océan ? Le sel qu’il produisait était de surcroît le plus fin, le plus subtil d’entre tous les sels. Résolu à élucider ce mystère, je me rendis discrètement sur le site.
Deux
grands baraquements constituaient toute l’entreprise. Entre deux planches
disjointes du premier, j’observai le personnel qui vaquait à sa tâche :
les uns lisaient La Petite fille aux allumettes, des histoires pathétiques,
des romans déchirants, d’autres visionnaient des mélodrames. Tous pleuraient avec
abondance et leurs larmes étaient recueillies dans des vases de verre où,
lentement, elles s’évaporaient.
Dans
le second baraquement, travaillaient des veuves et des veufs inconsolables, des
exilés, des condamnés à mort, des amoureux bafoués, des enfants punis, des
infortunés de toute espèce. Soudain, le saunier surgit devant moi : – Vous
comprenez maintenant pourquoi mon sel relève si bien les plats ? Puis il
me poussa dehors en ajoutant : – Je n’embauche pas les écrivains, si
enclins soient-ils à pleurer sur eux-mêmes. Leurs larmes sont trop amères.
Partez, vite ! Vous me gâteriez la récolte.